Oct 9, 2014

Interview of Prof A.Sonnino- Guest speaker at the Conferemce for the 100 years of the Faculty

ANDREA SONNINO, Chef du Service de la Recherche à la FAO : “Mettre fin au problème de la faim dans le monde est à notre portée”


Pour célébrer le centième anniversaire de la Faculté d’Agriculture, qui fut à l’origine une école, l’Université de Maurice a organisé, la semaine dernière, une conférence nationale sur l’agriculture. L’un des principaux invités étrangers était le professeur Andrea Sonnino, responsable du service de la Recherche à la FAO (Food and Agriculture Organisation for the United Nations). Jeudi dernier, il a répondu aux questions de Week-End après son intervention à l’université de Maurice sur le sujet suivant : « Food security, sustainability and agricultural biotechnologies. »
Est-ce que le monde produit ce dont il a besoin pour nourrir tous ses habitants en 2014 ?
— Nous produisons plus de nourritureque nous n’en avons besoin, mais nous avons à faire face à deux gros problèmes. Tout d’abord la mauvaise distribution de ces produits qui nous conduit à la situation suivante : 842 millions de personnes ne mangeaient pas à leur faim entre 2011-2013. C’estinacceptable. Le deuxième problème réside dans le fait que l’actuel système de production de nourriture consomme trop de ressources naturelles, ce qui va nous empêcher d’offrir aux générations futures les mêmes conditions de santé, de nourriture et d’environnement que ceux que nous avons reçues de nos parents.

Qu’est-ce qui nous empêcherait de partager équitablement et efficacement ce que nous produisons comme nourriture ?
— Les problèmes sont très complexes et de plusieurs ordres : politique, financiers, économiques, sociaux. Le principal problème de notre planète est la pauvreté à laquelle s’ajoutent le chômage, le non-accès à l’éducation, à la santé. La solution ne consiste pas uniquement à augmenter la production alimentaire, mais d’améliorer l’accès à la nourriture et cela peut être fait de plusieurs manières. Les solutions sont aussi complexes que le problème. La solution ne consiste pas à donner à manger à ceux qui n’en ont pas, ou pas assez, mais de leur apprendre à devenir autonomes, à ne plus dépendre des autres, à avoir accès à tous les services dont ils ont besoin pour vivre normalement. Des mesures sont prises pour mettre fin à cette situation à travers le monde et de bons résultats sont notés et le nombre de personnes ne mangeant pas à leur faim est en train de diminuer, mais pas aussi rapidement qu’on aurait pu le souhaiter.
Quelle est la mesure principale à prendre pour renverser cette situation ?
— Apprendre aux gens à sortir de la misère et cela peut être fait à travers une série de mesures : la protection sociale, la lutte contre le chômage, l’accès à la santé et à l’éducation.
C’est un discours que l’on répète depuis des années. C’était l’objectif du millenium des Nations unies qui ne sera pas atteint, comme prévu, en 2015.
— Même si nous ne parvenons pas à atteindre globalement cet objectif, il faut reconnaître que nous n’en sommes pas loin. Plusieurs pays sont parvenus à atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés, et certains les ont même dépassés. Ceci étant, ce n’est pas assez et il faut continuer à lutter parce que, je le répète et je le souligne, il n’est pas acceptable que des millions d’êtres humains soient encore en dessous du seuil de la pauvreté qui, selon les Nations unies, est d’un dollar et 25 cents par jour. Nous devons donc continuer le combat en améliorant les méthodes utilisées.
Est-ce que la perception des décideurs du monde a évolué en ce qui concerne ce problème?
— Je crois qu’on peut dire qu’il y a plus de volonté politique pour éradiquer le problème de lafaim dans le monde et instaurer la sécurité alimentaire. Il y a aussi une plus grande prise de conscience de la nécessité d’un système de production alimentaire durable et équitable dans un plus grand nombre de pays.
Que pensez-vous du débat sur la biotechnologie, la biodiversité en agriculture qui fait rage de par le monde ?
— Que c’est un mauvais débat. Il ne faut pas confondre OGM et surutilisation des pesticides. Il y a dans ce débat beaucoup de rhétorique et de controverses sur les OGM, les organismes génétiquement modifiés. Pour moi, les OGM ne sont pas aussi importants qu’on le prétend, ne sont pas le vrai problème. Le vrai problème, c’est que les biotechnologies ne sont pas suffisamment utilisées pour le bénéfice des petits producteurs des pays pauvres, alors qu’elles le sont dans les grandes fermes des pays développés, ce qui fait toute la différence. Bien utilisée, la biotechnologie est un atout pour l’agriculture. J’aimerais vous citer l’exemple d’une espèce de riz qui est cultivé sur des millions d’hectares en Inde. La particularité de cette espèce de riz, génétiquement modifié, est de résister aux inondations provoquées par la mousson. Les plantes peuvent rester sous l’eau pendant une semaine, ce qui représente une énorme différence pour les cultivateurs qui perdaient toute leur récolte avec la mousson. On a pu, en utilisant les OGM, éradiquer, par exemple, des maladies qui attaquaient les plantations de pomme de terre dans certains pays d’Afrique pendant des années. La biotechnologie est une technologie qui, bien pensée et bien utilisée, peut permettre d’augmenter la production agricole des petits agriculteurs des petits pays et faire la différence. En 2010, une conférence a été organisée au Mexique et réunissait quarante-deux pays, en majorité des pays en développement, surtout en Afrique. La grande majorité des délégations a souligné que les OGM n’étaient pas suffisamment utilisés pour le bénéfice des petits agriculteurs de leurs pays. Cette technologie, développée par les industries des grands pays n’est pas accessible aux pays pauvres de la planète qui en ont le plus grand besoin. Il faut encourager la recherche pour des techniques adaptées, à tous les points de vue, aux besoins des petits agriculteurs des petits pays. Ils ne doivent pas dépendre sur les recherches et les technologies mises au point dans les grands pays pour des macro- objectifs. Il faut également que ces petits fermiers ou agriculteurs aient leur mot à dire sur la recherche et les nouvelles technologies qui doivent partir deleurs besoins et les aider à améliorer leur production.
Mais ce sont les grands pays qui utilisent les nouvelles technologies pour faire de la surproduction, dominer le marché et imposer leurs prix.
— Il faut que les petits agriculteurs se regroupent,s’unissent, s’organisent. S’ils sont soutenus par les autorités de leurs pays respectifs, ils peuvent parvenir à exister et même très bien. Savez-vous qu’au nord de l’Italie, 8000 familles qui cultivent les pommes sur des petites plantations d’environ deux hectares chacun produisent 50 % du marché italien et 25 % du marché européen ? Ils sont organisés en coopérative, disposent de leur propre système de marketing et de distribution et sont l’exemple de ce qu’il faut faire. Savez-vous que 80 % des produits agricoles mondiaux sont produits par 500 millions de petits agriculteurs, alors que le nombre total de fermiers est de 570 millions ? Ce sont les petits planteurs qui nourrissent le monde et pas le contraire. Il est faux de dire que les petits planteurs utilisent des outils et de techniques obsolètes venant de l’âge de pierre. Quand on leur offre la possibilité, la majeure partie d’entre eux utilisent les technologies avancées dont disposent les très gros planteurs, les 70 millions qui contrôlent le marché.Par ailleurs, la productivité des petits agriculteurs est plus élevée dans la mesure où ils utilisent des méthodes plus intensives. Une grosse partie de la solution du problème de la faim dans le monde relève des petits agriculteurs. A condition que les autorités des différents pays leur accordent le soutien nécessaire pour innover, mieux produire et avoir accès aux marchés.
Si nous avons identifié une grosse partie de la solution, pourquoi est-ce que les autorités responsables ne l’appliquent pas ?
—Il n’est pas juste de dire que les autorités ne le font pas. Il est plus correct de dire qu’elles ne le font pas assez. Il existe de mauvaises conceptions dans le monde dont celle qui voudrait que l’agriculture soit une technique d’un autre temps et que l’avenir est dans la cybernétique, l’informatique et les nouvelles technologies. Disons pour résumer que l’on n’accorde pas à l’agriculture l’attention qu’elle mérite, alors que les études démontrent qu’elle est un des principaux moteurs du développement. Les autorités n’investissent pas suffisamment dans la recherche agricole, surtout dans les régions rurales, tout comme elles n’investissent pas assez dans les organisations des petits fermiers, les coopératives. Les Nations unies recommandent que 1 % du GDPagricole soit investi dans la recherche, mais cela n’est pas le cas, plus particulièrement dans les pays africains. Par contre, le Chili qui investit 5 % des recettes agricoles dans la recherche augmente et diversifie ses produits et est devenu un exportateur mondial de vin. Il faut revoir le « mind set » sur la recherche dans le monde agricole, prendre en considération ce que les petits agriculteurs ont à dire, travailler en fonction de leurs besoins, de leurs demandes, car ce sont eux qui vont tester lesnouvelles méthodes et technologies.
Comme les OGM?
— Il faut souligner que la technologie en elle-même n’est pas LA solution, mais peut en être une partie. On accorde beaucoup d’importance, trop à mon sens, à la question des OGM parce que c’est un sujet émotionnel, qui retient plus facilement l’attention que d’autres questions technologiques. Le fait de prendre un gène et de le greffer sur un autre semble être considéré comme une chose non naturelle alors que cela fait des millions d’années que l’humanité utilise cette même méthode pour faire des greffes de plants. Cela fait quarante ans que je travaille dans le secteur agricole et cela fait une quinzaine d’années que l’on parle des OGM et je n’ai jamais entendu autant de mensonges débités sur un sujet.Aussi bien des gens qui sont pour que de ceux qui y sont opposés. L’OGM est UNE des technologies qui peuvent être utilisées, dans un contexte précis pour augmenter la production agricole pas LA solution miracle à tous les problèmes de l’agriculture. Ce n’est qu’un élément de la grosse boite à outils agricole.
Un mot sur les sciences de la mer, sujet au programme de la conférence à laquelle vous venez de participer.
— Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais je pense que, comme dans l’agriculture, beaucoup de choses peuvent être faites pour mieux gérer les ressources de la mer. J’aimerais toutefois souligner que l’aquaculture est la grande révolution dans le système alimentaire de ces cinquante dernières années. L’homme est parvenu à domestiquer plus de deux cents espèces marines et à développer les fermes aquatiques. Ces fermes produisent aujourd’hui environ 50 %  des poissons consommés dans le monde, ce qui permet de diminuer l’exploitation des océans et de permettre aux espèces menacées d’extinction de se reproduire. Mais dans ce secteur, il faut également prendre en considération le facteur de durabilité et se débarrasser de systèmes d’exploitation qui ne respectent pas l’environnement.
Abordons justement la question du respect de l’environnement dans le développement agricole.
— Il reste beaucoup à faire pour veiller à ce que les fermes aquatiques, tout comme les plantations, fonctionnent dans le respect de l’environnement. Nous devons veiller à ce que se soit le cas aussi bien au niveaude la demande que de l’offre. Beaucoup d’efforts doivent être faits pour une nutrition équilibrée qui tient compte des réalités agricoles et environnementales. Dans les pays développés, le bétail est élevé de manière intensive et à un prix exorbitant pourl’environnement. Le simple passage de la viande rouge à la viande blanche, aux oeufs, aux poissons et aux végétaux dans notre alimentation peut réduire considérablement la pression exercée sur l’environnement. Savez-vous que 80 % des terres agricoles - y compris les pâturages et cultures - sont utilisées pour nourrir le bétail. Si on réduit la consommation des protéines animales dans notre nourriture, nous pourrions disposer de beaucoup plus de terres pour les produits agricoles et réduire de façon significative la pression sur l’environnement.
Comment atteindre ce résultat ?
— En faisant plus d’efforts au niveau éducatif et en expliquant la nécessité d’un changement de nos habitudes alimentaires. Plus d’un milliard d’êtres humains sont en surpoids - cequi signifie qu’ils mangent trop - et il existe plus de 400 millions d’obèses, sujet à de multiples maladies liées à l’alimentation. Une alimentation plus équilibrée va influencer la production des produits agricoles et réduire la pression sur l’environnement. J’aimerais souligner que dans le combat pour un changement d’habitudes alimentaires - un changement obligatoire - le principal élément est la femme.
Est-ce que l’homme et la femme ne sont pas concernés à titre égal dans ce combat ?
—Dans le domaine des habitudes alimentaires, la femme peut avoir une très forte influence, aussi bien sur la demande que sur l’offre. C’est elle qui fait la cuisine et qui donc choisit les produits qui seront consommés par la famille, c’est donc elle qui peut modifier les habitudes alimentaires de la famille, au niveau de la demande. Elle a également un rôle important à jouer au niveau de l’offre. Les résultats d’une étude, faite par la FAO il y a trois ans, démontrent que si les femmes disposaient des mêmes droits que les hommes au niveau mondial, on pourrait augmenter la production agricole pour 25 à 30 %.
Comment ?
— Dans certains pays, les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes. Dans ces pays, les femmes n’ont pas le droit d’être propriétaires, donc ne peuvent avoir accès aux prêts bancaires pour développer leurs terres, leurs entreprises. Dans certains pays où les femmes travaillent dans les champs, c’est avec les hommes que dialoguent les représentants des autorités pour déterminer la demande. Ce sont les hommes qui « décident » quoi planter, mais ce sont les femmes qui font le travail. Cette étude démontre que l’égalité des genres, à tous les niveaux, peut avoir un aspect positif sur les questions agricoles.
Pour résumer : nous avons les idées et les programmes, nous disposons des technologies nécessaires pour nourrir tous les habitants de la planète, mais nous ne parvenons pas à atteindre cet objectif que nous nous sommes pourtant fixé !
— Pour atteindre cet objectif, il faut conscientiser le maximum de personnes au problème, il faut expliquer ses enjeux et ses obstacles et surtout sa nécessité. C’est ce que nous sommes en train de faire dans le cadre de cette interview. Nous sommes sur la bonne voie, mais il faut intensifier les efforts et pour cela il faut convaincre les décideurs à travers l’engagement des ONG, des organisations de planteurs, des coopératives et de simples citoyens. J’aimerais souligner que nous devons accepter l’innovation qui nous permet d’avancer plus vite sur le chemin vers la sécurité alimentaire et un monde où tous les citoyens mangeront à leur faim et auront une existence décente.
Après ce tour d’horizon et avec votre expérience professionnelle, êtes-vous confiant que nous allons vers un monde meilleur en cequ’il s’agit de l’alimentation ?
— Je suis très optimiste pour le devenir de la planète pour une raison simple : nous n’avons pas le choix. Nous DEVONS augmenter la production alimentaire parce que la population augmente et la demande avec. Si nous n’y parvenons pas, nous allons vers des conflits, probablement des guerres. Plus fondamental encore, nous ne pouvons pas lutter contre la nature, car c’est elle qui a toujours le dernier mot. Si nous ne respectons pas les équilibres de la nature, notre civilisation est condamnée à disparaître. Nous sommes face à un « no choice, choice ». Je crois que nous avons suffisamment d’intelligence pour le comprendre et prendre les décisions qui s’imposent. Si nous voulons survivre, nous sommes condamnés à nous améliorer et à mieux traiter la planète.

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