Le ministre des Affaires, de l’entreprise et des coopératives, Soomilduth Bholah veut relancer la production laitière à Maurice. Dans ce contexte, il a sollicité l’expertise de l’Africa Asia Rural Development Organisation (AARDO), basée à New Delhi, en Inde, afin de restructurer le secteur du lait à Maurice. Mais faut-il vraiment un expert étranger pour venir nous dire ce que nous savons déjà ?
Trente ans de cela, Maurice produisait environ 25 millions de litres de lait frais. Au fil des années, la production a baissé drastiquement pour atteindre environ cinq millions de litres aujourd’hui. Le pays doit importer 95 % du lait consommé. Le ministre a dit qu’il croit au potentiel du secteur, qui bénéficiera de l’expertise du Professeur Jabil Ali, de l’Indian Institute of Management de Lucknow, Inde. Ce dernier, dépêché par l’Africa Asia Rural Development Organisation (AARDO), fera une étude complète du secteur et verra comment le réorganiser. Il fera ensuite des recommandations.
Cependant, ce n’est pas la première fois que le secteur laitier reçoit une attention particulière. Depuis des années maintenant, les petits éleveurs de vaches à Maurice font entendre leurs voix. Le secteur fait face à de nombreuses difficultés. Malgré plusieurs mesures entérinées ces dernières années, et plusieurs rapports produits par le ministère de l’Agriculture, le secteur n’a pas décollé comme attendu. Or, ce ne sont pas les idées qui manquent, mais plutôt l’absence de volonté et l’inaction. Cette énième visite d’un expert offre quand même une lueur d’espoir quant à l’avenir du secteur.
Les contraintes
Plusieurs facteurs expliquent le déclin d’un secteur qui aurait pu être un modèle dans le monde agricole mauricien. D’abord, c’est le peu de mécanisation qui freine le développement, l’élevage étant toujours une activité exercée avec les moyens plus ou moins traditionnels. La majorité des éleveurs sont de petites entreprises familiales sans projet d’expansion ou de développement majeur. Ensuite, il y a les contraintes financières, car les éleveurs ne peuvent injecter de fonds pour investir. Le manque de main-d’œuvre est un autre facteur décourageant. Il est de plus en plus difficile de trouver de la main-d’œuvre pour le secteur de l’élevage. Les jeunes ne sont pas intéressés à cette activité et les enfants des éleveurs sont peu enclins à reprendre l’activité familiale de leurs parents.
Coûts de production
L’élevage est une activité qui engendre des coûts énormes. Avoir un environnement propice à l’élevage demande un investissement conséquent en termes de terrain et de bâtiments. Ensuite, il faut les équipements nécessaires, par exemple la machine à traire les vaches. Le stockage de lait frais est aussi coûteux, de même que le transport en véhicule spécial et réfrigéré. Mais la plus grosse contrainte est la cherté des aliments pour bétail. À Maurice, nous n’avons que deux fabricants d’aliments qui contrôlent tout le marché depuis la fermeture de l’usine gouvernementale de Richelieu. Comme les matières premières sont importées, le prix final de vente est à la merci du coût mondial, du cours du dollar et le fret.
Marché limité du lait frais
Alors que le ministre des Affaires, de l’entreprise et des coopératives veut booster la production laitière, il faut souligner que le bon lait frais arrive difficilement à trouver preneur. Nos jeunes n’apprécient pas trop le lait frais produit localement. La faute revient en partie aux autorités pour n’avoir jamais entrepris des campagnes nationales en faveur du lait frais. L’absence de toute forme de ‘marketing’ prive les éleveurs d’un marché viable et durable. Le manque d’un système efficace de distribution à travers le pays affecte la vente du lait frais à Maurice.
Services vétérinaires
Bien que le gouvernement offre des services de vétérinaire gratuitement aux petits éleveurs, le service est parfois inadéquat à cause d’un manque de vétérinaires. À un certain moment, il était même question que le gouvernement recrute des vétérinaires étrangers pour soutenir le secteur. La disponibilité des médicaments est aussi un obstacle, car bien souvent, il y a une rupture de stock alors que les médicaments coûtent très cher dans le circuit privé.
L’inefficience
Beaucoup d’éleveurs sont regroupés au sein des sociétés coopératives, mais malheureusement, l’esprit coopératif est rarement présent. Il est courant de voir les éleveurs opérer individuellement même au sein de ces coopératives. Résultat : gestion inefficace, impossible de faire des économies d’échelle, duplication entraînant des coûts additionnels, faible mécanisation, pas de marketing ou stockage collectif, etc. Les coopératives sont souvent gérées par les éleveurs eux-mêmes et ils ne font pas appel aux professionnels de gestion. Mais il est aussi impossible de payer des professionnels, car la situation financière est souvent dans le rouge.
Les infrastructures inadéquates
L’élevage nécessite des infrastructures appropriées : terrains, bâtiments, pâturage, etc. L’indisponibilité de terres affecte la bonne marche des activités. Avec un développement foncier à travers le pays et de plus en plus en milieu agricole, il est difficile d’obtenir un permis EIA pour de grandes fermes d’élevage si elles sont proches des zones résidentielles. Il est tout aussi difficile d’installer des fermes loin des zones habitables si la région n’est pas connectée au réseau électrique ou l’eau. La mise en place des fermes laitières modernes avec des races de vaches améliorées et l’exploitation d’un système de zéro-pâturage nécessite des investissements énormes, d’où la nécessité de regrouper les éleveurs en associations ou en coopératives performantes et encadrées par des professionnels.
Les gros investissements
Le secteur laitier a vu de gros investissements ces dernières années, avec des projets comme Golden Cream Ltd et SKC Surat. La première opère à Salazie une ferme laitière automatisée alors que SKC Surat dirige une autre à Rose-Belle.
Aadicon Biotechnologies Ltd, une compagnie indienne, a implanté une entreprise biotechnologique à Piton-du-Milieu. La firme assure un service d’agro-biotechnologie, d’élevage bovin et de technologie moléculaire ; outre la production des fertilisants ‘bio’, elle se spécialise également dans la production des semences bovines pour l’exportation.
Aliments pour bétails
Avec les grosses pluies devenant très fréquentes à Maurice, ce n’est plus l’herbe qui manque. Mais dommage qu’il n’y a pas encore de collecte de fourrage, qui peut devenir une activité lucrative. La culture de fourrage est aussi un segment à exploiter, avec la possibilité d’introduire de nouvelles espèces hautement nutritives et développer le stockage à long terme. Concernant les aliments pour bétails, les sociétés coopératives doivent être encouragées à mettre sur pied des usines régionales, avec des matières premières importées des pays amis comme l’Inde et le Pakistan (résidus de riz ou de blé). Le marché doit devenir plus compétitif avec un appel lancé aux investisseurs étrangers désirant obtenir la résidence permanente.
Coopération bilatérale
Les autorités ont fait venir un expert indien pour faire un état des lieux du secteur laitier à Maurice. À travers la coopération bilatérale, surtout avec l’Inde et le Pakistan, Maurice pourra s’inspirer du succès de ces pays et bénéficier du transfert d’expertise. À titre d’exemple, nos décideurs et nos éleveurs doivent visiter la ville d’Anand, au Gujarat, qui est considérée comme la capitale laitière de l’Inde. C’est là que les différents mouvements coopératifs ont pu créer une vaste industrie laitière qui est reconnue mondialement. Maurice doit aussi coopérer avec le Royal Association of British Dairy Farmers (RABDF), pour avoir des idées. Inviter des experts ne sert à rien si les recommandations ne sont pas mises en œuvre.
Comment relancer ?
Le montant des importations de lait et autres produits laitiers est estimé à plus de Rs 3 milliards par an. Si Maurice arrive à produire un niveau élevé de lait, nous économiserons des devises tout en créant des opportunités pour nos entrepreneurs agricoles. Relancer le secteur laitier n’est pas la mer à boire. Il faut tout d’abord créer ce marché de lait local. C’est aux autorités de mener une vaste campagne nationale sur les bienfaits du lait frais pour encourager la population à le consommer. Ensuite, pour initialement garantir un marché durable, le gouvernement doit acheter du lait frais pour la consommation dans les ministères et autres organismes publics, les hôpitaux et prisons.
À terme, le ministère de l’Éducation doit songer à introduire un « milk feeding scheme » dans les écoles afin d’encourager les enfants à boire du bon lait frais. Cette initiation au lait frais créera une génération de futurs consommateurs. Le ministère de l’Intégration sociale pourrait également offrir des « fresh milk vouchers » aux pauvres afin qu’ils puissent se procurer du lait frais. Le ministère du Tourisme pourrait, à son tour, encourager les hôtels à se tourner vers les petits éleveurs pour s’approvisionner en lait. Le pays compte beaucoup de chômeurs qui n’ont pas atteint le niveau du CPE ou le SC.
Ces personnes doivent être formées pour le secteur agricole. Les producteurs laitiers doivent aussi être autorisés à recruter des ouvriers étrangers expérimentés. Il est important de développer un réseau de distribution de lait frais, un autre créneau d’entrepreneuriat. Imaginons un système de livraison de lait et de pain à domicile chaque matin, au lieu de voir des milliers de personnes se ruer en voiture ou à moto à la boulangerie du coin !
No comments:
Post a Comment