Jun 6, 2016

Production de légumes bio: un objectif voué à l’échec!!!!!


Production de légumes bio: un objectif voué à l’échec
Par Jean Cyril MONTY

ecologically grown veggies

Source L'Express 03 June 2016

Les légumes bio coûtent en moyenne 90 % plus cher que ceux produits de manière conventionnelle. Produire 50 % de la production locale de légumes frais sous le label bio, tel est l’objectif fixé par le gouvernement lors de la présentation du Budget 2015/2016 par l’ex-ministre des Finances. Ci-après, un extrait de sa déclaration sur le sujet. «We have the ambition of producing no less than 50 per cent of our total local food production according to bio norms.» Un délai de cinq ans a été fixé pour atteindre cet objectif, comme indiqué dans le plan stratégique 2016-2020 pour le secteur non-sucre élaboré par le ministère de l’Agro-industrie. Tenant compte des spécificités propres à la production organique, c’est maintenant que devrait commencer la conversion des terres (interdiction d’utiliser des fertilisants et des pesticides chimiques, etc.) avant que les premières récoltes bio ne soient certifiées dans trois ans. Ainsi, point de round d’observation.


Un rapide calcul fait voir que 50 % de la production locale sous le label bio représente, basé sur les statistiques prévisionnelles de la récolte 2015 de Statistics Mauritius, un volume de 40 000 tonnes de légumes. Ainsi, Maurice aspire à devenir la championne mondiale des légumes bio, proportionnellement s’entend.


À titre de comparaison, la France, un des leaders mondiaux du bio, ne produit que seulement 3 % de légumes organiques. En Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et sur l’ensemble du continent africain, les légumes organiques ne représentent que seulement 2 % et 1 % respectivement de leur superficie totale sous bio. Par ailleurs, des 43 millions d’hectares de terres agricoles dédiés au bio à travers le monde, les légumes n’occupent que 0,7 % (305 342 hectares) de cette surface. La faible superficie dédiée est due au fait que produire des légumes bio est une activité ardue et semée d’embûches avec un pourcentage élevé d’échecs comparé à d’autres produits porteurs à très haute valeur ajoutée comme les céréales, le café, le cacao, les oléagineux, le raisin ou encore le coton.

Alors qu’à travers le monde, les principaux pays producteurs du bio développent leurs cultures de légumes organiques avec beaucoup de prudence, voilà que chez nous on compte faire exactement l’inverse. L’objectif fixé est d’une envergure tellement démesurée qu’il peut être catalogué de pure fiction et, plus grave encore, démontre qu’aucune étude sérieuse n’a été entreprise au préalable afin, entre autres, de :


  • (i) faire un état des lieux de la filière des légumes frais,
  • (ii) étudier le comportement des plantations bio sur une base commerciale tenant compte de la forte incidence de maladies et d’insectes,
  • (iii) quantifier la main-d’oeuvre additionnelle requise, tenant compte du fait que de par leurs spécificités, les plantations de légumes bio requièrent une main-d’oeuvre
  • intensive,
  • (iv) déterminer la demande locale en légumes bio et leur accessibilité à la population, tenant compte que le prix de vente du bio est nettement supérieur à celui des légumes conventionnels,
  •  (v) estimer la superficie des terres agricoles additionnelles requise, considérant que la productivité des légumes bio est inférieure à celle des légumes conventionnels.


Il est inopportun que le pays s’embarque dans une telle entreprise qui, basée sur l’objectif fixé, est vouée à un échec certain, sans oublier les énormes ressources tant financières qu’humaines qui devront être mobilisées. De plus, ce bouleversement aura inévitablement une grave répercussion sur l’ensemble de la filière des légumes qui est dans un état végétatif depuis très longtemps et dont les multiples problèmes auxquels elle est confrontée ne font que s’aggraver comme en témoigne une productivité en chute libre depuis 2009.

Voyons les faits.

Une production locale défaillante et une consommation en baisse

La production locale de légumes (excluant le riz) n’a cessé de péricliter au cours de ces dernières années. Une analyse entreprise à partir des statistiques officielles de Statistics Mauritius, couvrant la période 2009 à 2015* (*chiffres prévisionnels), fait voir :

  • (i) une productivité en chute libre, passant d’une moyenne de 14,9 tonnes/ hectare en 2009 à 11,8 tonnes/ hectare en 2015 (-21 %). Il faudrait remonter 23 ans en arrière, notamment en 1992, pour noter un rendement aussi catastrophique.
  • (ii) une production en régression, passant de 94 143 tonnes en 2009 à 79 853 tonnes en 2015 (-15 %).
  • (iii) une consommation nette de la production locale (excluant les exportations) en baisse, passant de 79 kilos/ tête en 2009 à 65 kilos/ tête en 2015 (-18 %).
Source de la superficie cultivée

La superficie récoltée s’est élevée à 6 775 hectares en 2015. À partir d’une analyse
personnelle, cette surface proviendrait de deux sources :


  • (i) terres permanentes (appartenant essentiellement aux petits planteurs et dont deux cycles de cultures peuvent être entrepris annuellement).
  • (ii) terres à cannes (terres de rotation – entre deux cycles de cannes) appartenant principalement aux compagnies sucrières et dont seulement un cycle de culture peut y être effectué.

Ainsi, les 6 775 hectares récoltés découlent d’une superficie physique de 4 238 hectares, répartie comme suit (Tableau I):






Ainsi, il est permis de croire que les terres de rotation, qui ne sont disponibles que pendant quelques mois seulement avant que la canne ne soit replantée, seraient, pour des raisons évidentes, déduites de toute superficie qui pourrait être mise sous bio.


S’agissant des terres permanentes cultivées essentiellement par les petits planteurs, il est estimé qu’une majorité d’entre eux ne se risqueraient pas dans la culture des légumes bio, tenant compte des risques financiers réels que cela comporte. À cet effet, il serait opportun de rappeler que Statistics Mauritius a énuméré, en ordre d’importance, les principaux problèmes auxquels sont confrontés les planteurs de légumes, avec les maladies et les insectes se retrouvant en tête de liste, suivis des catastrophes naturelles.

Rendement des légumes bio inférieur aux légumes conventionnels

Une étude entreprise, en 2013, par l’université McGill au Canada, en collaboration avec celle du Minnesota aux États-Unis, a démontré que le rendement moyen des légumes bio, tous types confondus, est de 33 % inférieur à ceux produits de manière conventionnelle. Cette expérimentation avait été menée sur 316 différentes cultures, équitablement partagées entre le bio et la culture dite normale, réparties à travers 62 différentes zones expérimentales. La conclusion de cette étude se compare favorablement à celle d’autres enquêtes menées en Europe et ailleurs.

Par ailleurs, une étude réalisée par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), organisme français de recherche, dans le cadre du programme écophyto, montre des pertes de rendement allant de 30 à 70 % pour différentes cultures bio.

Le tableau suivant (Tableau II) fait voir que pour produire 50 % de la production locale de légumes en bio, cela nécessiterait une surface physique additionnelle de 714 hectares. Cet exemple est basé sur une baisse de 30 % dans le rendement du bio.


 
Les légumes bio : trop chers pour la majorité des consommateurs

Il est un fait que les légumes bio sont vendus à un prix nettement supérieur comparé aux légumes conventionnels en raison, notamment, d’un coût de production bien plus élevé et d’un rendement relativement faible.

Une analyse des prix de vente de trois légumes frais (carotte, tomate et laitue)
affichés sur les marchés en gros de Boston, Los Angeles et Philadelphie, aux
États-Unis, fait voir que ces produits sont commercialisés entre 94 % et 148 % plus chers que ces mêmes légumes conventionnels.

Par ailleurs, une étude sur 600 produits agricoles, publiée dans le magazine français Linéaires, fait ressortir que les légumes bio coûtent en moyenne 90 % plus cher que les conventionnels.

Ainsi, un rapide calcul fait voir que le consommateur local qui achète Rs 300 de légumes par semaine et qui souhaiterait dorénavant se tourner vers le bio, devrait débourser, en moyenne, Rs 150 de plus si les légumes organiques étaient vendus 50 % plus cher ou encore Rs 270 basé sur une augmentation de 90 %.

Avec de tels écarts de prix, il est clair que les légumes bio seraient difficilement accessibles à une majorité de consommateurs, comme c’est le cas à travers le monde… À moins que le gouvernement ne décide de subventionner leur prix de vente.

L’offre et la demande

Maintenir l’objectif de produire 50 % de légumes bio, tenant compte que la superficie additionnelle requise soit disponible, engendrerait inexorablement une situation chaotique entre l’offre et la demande de l’ensemble de la filière des légumes.

D’une part, l’on se retrouverait dans une situation où très certainement l’offre serait supérieure à la demande pour le bio et ce en raison de la cherté du produit, entre autres.

D’autre part, une production de légumes conventionnels diminuée de moitié entraînerait inévitablement des pénuries permanentes avec une demande nettement supérieure à l’offre. Il en découlerait donc des prix de vente inaccessibles aux économiquement vulnérables.

Conclusion
Le constat présenté ci-dessus fait voir les risques énormes que représente la décision prise par le gouvernement concernant l’objectif fixé pour la production de légumes bio, qui est avant tout un marché de niche destiné à une clientèle aisée. Ainsi, persister dans voie, sous sa forme actuelle, ne ferait que des perdants.

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