Une Analyse critique de Mons. Jean Cyril Monty
La consommation locale de légumes frais s’est élevée à 115 000 tonnes en 2016 contre 97,000 tonnes en 2008 (+19 %), ce qui représente une moyenne de 88 kilos par tête d’habitant.
Du volume consommé en 2016, 90 000 tonnes (78 %) sont d’origine locale et les 25,000 tonnes restantes (22 %) proviennent des importations.
La valeur de la production locale des légumes frais, en 2016, est estimée à Rs 2,5 milliards contre Rs 1,8 milliard en 2008 (+39 %).
Tenant compte des différents postes de dépenses et des marges commerciales imposées par les intermédiaires, grossistes, distributeurs et détaillants, il est estimé que les légumes frais, produits localement, ont coûté aux consommateurs locaux la somme astronomique d’environ Rs 4 milliards en 2016 contre Rs 3 milliards dix ans plus tôt (+33 %). Ainsi, chaque Mauricien aura dépensé, en 2016, une moyenne de Rs 3 100 pour son approvisionnement en légumes frais locaux.
Les exportations
Les exportations de légumes frais, en 2016, ont été dérisoires, soit un volume de seulement 60 tonnes, ce qui représente 0,6 % de la production nationale. Il serait utile de faire ressortir qu’entre 2012 et l’année dernière, le volume exporté a chuté de 71 %.Les légumes transformés
La filière de la production des légumes ne fournit pratiquement pas de matière première à l’industrie de transformation locale, qui n’a d’autre choix que de se tourner vers l’importation pour son approvisionnement.En 2016, le pays a importé un volume de quelque 31 500 tonnes de légumes transformés, incluant pour les besoins de l’agro-industrie locale. Ce volume représente une hausse de 50 % par rapport aux 21 000 tonnes réceptionnées en 2008.
Ces chiffres font voir que Maurice suit les tendances des pays développés avec une consommation grandissante des produits transformés.
Les producteurs
Il est estimé que 85 % de la production locale proviennent des petits planteurs et les 15 % restants des établissements sucriers et autres gros planteurs. Ceci montre le rôle important que tiennent les petits producteurs pour nourrir la population.Une filière en détresse
Le bref état des lieux de la filière légumes frais, présenté ci-dessus, démontre, malgré ses nombreuses failles et faiblesses, l’importance stratégique du secteur dans l’économie du pays. Cependant, cette filière fait face depuis trop longtemps à de grosses difficultés qui ne cessent de mettre à mal le fondement même de son existence. Une activité économique, si petite soit-elle, ne peut être maintenue en opération uniquement à travers des compensations et autres mesures cosmétiques d’éclat, alors que les véritables enjeux se situent ailleurs, notamment :(i) une productivité (rendement par unité de surface) en chute libre depuis maintenant dix ans, passant de 14,9 tonnes/hectare en 2009 à 13,2 tonnes/hectare en 2016.
(ii) un coût de production élevé, affectant ainsi les producteurs et les consommateurs.
(iii) des infestations de maladies et d’insectes de plus en plus sévères, avec de sérieuses répercussions sur les récoltes.
(iv) une activité d’exportation au plus bas en raison du manque de compétitivité, des problèmes phytosanitaires ainsi que de la qualité des produits.
(v) le changement climatique et le manque d’eau pour l’irrigation qui affectent les cultures.
(vi) l’incapacité de produire pour l’industrie de la transformation.
(vii) l’absence d’une politique claire et définie des bonnes pratiques culturales.
(viii) une main-d’oeuvre en baisse et vieillissante.
(ix) la définition des zones appropriées de production pour les différents types de cultures.
Des mesures budgétaires en déphasage avec les réalités locales
Le secteur agricole non-sucre, et celui de la filière des légumes frais en particulier, souffre d’une très mauvaise approche de la part du gouvernement.La première présentation du budget de l’alliance Lepep, en 2015, suivi de celui du 8 juin 2017, sont venus démontrer comment nos décideurs du jour ont une vision du secteur non-sucre qui est en déphasage avec les réalités locales. Si rien n’est fait pour rectifier le tir, la production de légumes continuera à péricliter dans le court à moyen terme avec des retombées catastrophiques pour le pays en général et les planteurs et consommateurs en particulier.
Encourager les planteurs, notamment ceux qui le souhaitent, à se lancer dans la production bio aurait été une décision judicieuse. Cependant, fixer un objectif de 50% de notre production locale en légumes bio d’ici cinq ans, est une décision suicidaire et irresponsable, prise à la va vite et sans aucune étude approfondie sur la question, mesure boudée, avec raison, par la majorité des planteurs. Aucun pays au monde, même parmi les champions du bio, n’osera jamais imaginer un seul instant fixer un tel seuil de production car les implications sont énormes et bien souvent irréversibles.
Et comme si l’idée de se concentrer sur le bio ne suffisait pas, voilà que dans la présentation du budget 2017/2018, une mesure étonne et laisse bouche bée. Il s’agit de la production de noix de macadamia. Alors là, chapeau à celui ou à ceux qui ont pu convaincre le ministre des Finances qu’il y a là un gros potentiel que le pays doit exploiter.
Pour ceux qui l’ignorent, le macadamia est un arbre qui atteint sa pleine maturité à l’âge de 12-15 ans, mesurant alors un minimum de 15 mètres de haut. Les premières noix sont produites quand l’arbre atteint l’âge de 5-6 ans, mais le rendement demeure relativement faible jusqu’à 10-12 ans environ. Ainsi, tout planteur qui souhaiterait se lancer dans cette activité devra prendre son mal en patience et attendre au minimum une décennie, si entre-temps la plantation n’est pas décimée par les cyclones (le macadamia est très sensible aux vents forts et à une forte humidité), pour espérer rentrer dans ses frais.
Comme les terres agricoles sont aujourd’hui une denrée très rare chez nous, il en découle que toute plantation de macadamia ne pourra se faire qu’au détriment d’une culture existante ou d’une activité qui nécessite de grandes superficies.
Par ailleurs, ce ne sont certainement pas l’interdiction d’importer ou l’introduction d’une taxe de 15% sur certains pesticides qui vont régler les problèmes de résidus dans les légumes qui, soit dit en passant, ne sont pas aussi alarmants qu’on ne le pense mais nécessitent néanmoins des mesures plus terre à terre et non punitives pour être réglés.
Le véritable enjeu : répondre de façon dynamique aux aléas du marché
La filière des légumes frais est à la croisée des chemins et nécessite une refonte en profondeur, une mise à niveau qui permettra alors aux producteurs de répondre de manière positive et soutenue aux attentes des consommateurs. Redresser et revaloriser le secteur primaire afin qu’il puisse continuer à remplir sa mission qui est de nourrir la population, voilà où se situe le véritable enjeu. Définir de nouvelles politiques agricoles qui vont avaler nos maigres ressources financières et humaines disponibles ne fera qu’aggraver une situation déjà aléatoire.Source: L' Express 21 Jun 2017
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